HÉLÈNE GESTERN, critique littéraire APA (extrait de «Passé recomposé» à paraître dans «La Faute à Rousseau»)
« Ce livre est d’abord le fruit d’un geste d’assemblage, un geste nourri d’une poésie énigmatique. Beaucoup de silences, donc, dans cette œuvre, des textes et des photos qui se rencontrent sur le mode de l’effleurement, de l’écho, dans ce qui est à la fois une pudeur et une intensité du dire de soi. Mais la fragmentation voulue est subsumée par la profonde cohérence de la poétique photographique : cette lumière, d’abord, puissante, intense, charnelle, d’un noir et blanc sensuel, et puis des thèmes, fils de mémoire auxquels l’œil s’accroche et qui petit à petit s’amplifient, comme un motif musical.
Le premier est l’Algérie, une terre aimée, quittée, jamais oubliée : elle est toujours évoquée de façon allusive, devinée au travers d’une phrase. Pourtant, l’Algérie est partout, dans des insignes et des carnets scolaires, et surtout diffractée en nombreuses images portuaires : des navires, de côtes, toutes prises dans la lumière sèche de la Méditerranée. Même si les légendes, en fin d’ouvrage, nous parlent de Malte, des Açores, de la Grèce, la dissémination donne l’impression de renvoyer à une mémoire géographique unique dont le regard reconstruit partout les traces.
Le deuxième fil est la passion amoureuse, magnifiée dans l’image d’un corps d’amant après l’amour, dans l’exposé de sa peau veloutée, dans l’érotique de la lumière qui dépose les motifs d’un voilage sur un sein nu. Infiniment émouvante est cette manière déterminée et douce de montrer les corps, jamais exhibitionniste, toujours expressive, absolument libre.
Coupe sombre est un livre que l’on pourrait sans fin réinventer. Il porte en germe la narration d’une vie, mais la maintient sur une arête de silence qui lui donne un caractère parfois poignant. Le texte qui enveloppe ces instantanés sans leur imposer de lecture univoque, fait vibrer les interstices qui séparent les images, les sature de mémoire, peut-être de douleur.
Louise Narbo dit, à travers ses photographies, des sentiments universels, comme la nostalgie, les racines, la filiation, le plaisir. Et les intervalles ménagés par la coupe sont autant d’espaces offerts à l’autre, autant d’écrans sensibles où projeter le film de sa propre mémoire. »
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