Photographies et textes Louise Narbo. Préface de Christian Gattinoi. Aréa-Paris Editions. Date de sortie : 2023. Format : 15x21 cm. 70 pages.
36 photographies Couleur et Noir et blanc ISBN : 978 2 35276 157 0. Prix : 15€
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Ce projet parle d’un retour en Algérie, ma terre d’origine. Mais d’un retour de forme singulière, celle d’un voyage intérieur, à la recherche d’un oubli, d’un silence. Cet étrange silence qui suit les détonations de la guerre. Le long silence de l’exil.
Face au refoulement massif des sept années de guerre que j’ai vécues dans mon enfance, j’ai travaillé, dans les années 1980, d’une façon subjective et introspective. Trois récits avec trois écritures photographiques se sont constitués au cours de cette longue période, avec des niveaux d'implication différents. En cherchant des documents sur les traumatismes de guerre, j’ai trouvé de nombreux textes parlant des problèmes psychiques des militaires, mais assez peu de travaux sur les traumatismes vécus dans la population civile. Les exilés ont souvent gardé le silence et n’ont pas toujours consulté psychiatres ou psychothérapeutes. Malgré une forme personnelle et intime, mon travail parlera à bien des personnes ayant vécu un déracinement. Non, je n’étais pas la seule à mettre de côté ce passé algérien pour faire face à l’urgence de la construction d’une nouvelle vie. Et l’on peut facilement élargir la question du refoulement et des traumatismes de guerre à toutes les autres guerres ayant touché des populations civiles qui ont dû s’expatrier. Ces dernières ont souvent maintenu, tout au moins dans un premier temps, un grand silence à propos des troubles psychosomatiques ressentis. Il y a eu également des rassemblements de communautés resserrées autour d’un passé commun et maintenant ce passé indéfiniment présent. J’ai souhaité sortir de ces impasses.
La première écriture, regroupant les photographies argentiques de mes débuts (circa 1980) est de style classique. On peut parler de nostalgie de la terre, d’émotion devant la végétation méditerranéenne et de la chaleur de ses étés. Quelques images glissent simplement. Le cœur se noue parfois, puis on passe à autre chose. On écrit trois phrases sur son carnet, on fait trois photos souvenirs et voilà tout. Ce sont des souvenirs exotiques. La deuxième étape est née d'une décision d'attaquer les traumatismes d'une guerre vécue dans l’enfance. À mon arrivée en France, en 1962, il m’a été facile d’en faire un paquet bien ficelé, pour ne plus y toucher. "On est passé à autre chose" était alors l’expression consacrée. Mais ce paquet, après des décennies d’inertie, a fait souvent parler de lui en s’exprimant à travers des malaises psychiques et corporels. C’est ce que j’ai vécu particulièrement au cours d’un laborieux voyage à Cuba, en 2016. J'ai retrouvé, lorsque je me suis penchée sur ce boulet, une guerre qui n'avait pas vieilli. Puisque je n’y touchais pas, rien ne bougeait. Un vrai film d'époque avec l'accent, les pensées de l'époque. J'étais épouvantée d’entendre, en mon for intérieur, les mêmes mots qu’on se disait, dans les années 1950, en famille. J’ai décidé de me dégager de l’intemporel que créait le refoulement. Il fallait arriver à sortir de la tête les protagonistes de ce conflit. Écouter ces étranges échos pour les plonger dans le présent. Alors, tels des soufflets, ils se sont affaissés un par un au cours de ce travail. Le troisième et dernier temps reste, en partie, mystérieux pour moi. Il s’agit probablement d’une forme synthétique et conclusive, parlant d’une coupure. C’est une volonté de communiquer sur ce processus. Une volonté de faire passer un message et d’inviter, tous ceux qui se reconnaissent dans la situation que j’ai vécue, à s’ouvrir vers un autre monde …